Climat et pandémie pourraient paraitre incompatibles pour certains alors que de forts liens existent. Ils s’inscrivent tous les deux dans les voies qui mènent à l’effondrement de nos sociétés et de nos écosystèmes ainsi qu’au chaos. L’effondrement n’est plus imaginaire comme on le pensait mais bien réel avec la pandémie qui illustre l’ébranlement de l’ordre mondial. Il est évident aujourd’hui que la destruction des écosystèmes et des habitats favorise la transmission de nouvelles maladies à l’humain. Par analogie, le réchauffement climatique accélère le dégel du permafrost qui libérerait des ‘’zombies virus’’, c'est-à-dire des virus et microbes jusque-là disparus et dont on connait très peu de choses. En effet, cette masse de glace gelée depuis des milliers d’années appelée permafrost est une bombe à retardement et un véritable réservoir à microbe et virus méconnus et très peu étudiés.
Par ailleurs, le climat tout comme la pandémie a une courbe qu’il faut lui changer de trajectoire. Il s’agit de la courbe de Keeling qui enregistre l’évolution des concentrations du dioxyde de carbone dans l’atmosphère. En effet, les activités industrielles à base d’énergies fossiles ont porté la teneur en gaz carbonique à plus de 417ppm (parties par million) à ce jour, ce qui est un triste record alors que les scientifiques nous alertent que 450ppm serait déjà synonyme de 2°C de réchauffement et que 350ppm était l’idéal. Avec la pandémie, certaines données ont changé momentanément avec des économies entières à l’arrêt, des avions cloués au sol et un transport aérien et terrestre en activité très réduite. En effet, après la baisse d’un quart des émissions de CO2 en Chine au mois de février 2020, aux Etats Unis, il est attendu que la baisse soit autour de 7,5% en 2020. Tandis qu’en Europe, ce taux pourrait atteindre les 39%. Attention, la baisse des émissions de CO2 suite à la crise financière de 2008 ont rapidement repris leurs taux habituels après les politiques de relance économique des différents gouvernements. Nous devrions donc tirer la leçon et tracer une voie de sortie du covid-19 qui intègre aussi les principes de lutte contre le changement climatique.
Sur le plan national, certes, il n’y a pas de données disponibles par rapport à l’évolution de nos émissions, mais selon les informations rendues publiques par le Ministère de l’Energie, des Mines et de la Transition Energétique, la demande en produits pétroliers a baissé de 59% en avril 2020 et celle en électricité s’est réduite de 20% par rapport aux taux d’avril 2019.
Ces éléments à la fois en Tunisie et dans le monde nous prouvent que le changement reste possible et nous montre les grandes pistes d’action pour améliorer la trajectoire de nos émissions mondiales. Ainsi, la solution, réside entre autres dans la décarbonisation de notre économie. La Tunisie devrait donc promouvoir sa Stratégie de Développement à Bas Carbone pour l’horizon de 2050 et se saisir de ce cadre particulier pour pousser envers sa concrétisation. La Contribution Déterminée au plan National est un autre indicateur qui devrait nous guider vers la sobriété en attendant sa mise à jour qui doit se faire cette année selon la Convention des Nations Unies sur le Changement Climatique.
Attention, rien n’est garanti car même avec la baisse considérable des émissions dans plusieurs régions industrialisées du monde, la concentration des gaz à effet de serre se trouvant dans l’atmosphère est déjà très élevée au point que les impacts ingérables sont inéluctables.
Si la pandémie nous appris des leçons, deux sont essentiellement à retenir en Tunisie: (1) notre système économique et notre administration ne sont pas du tout prêts aux effets du changement climatique, (2) il faut que nos décideurs écoutent davantage les scientifiques et qu’ils se réfèrent à leurs rapports et études pour une réponse plus efficace face aux multiples enjeux climatiques annoncées sur tous les plans. Il faut que la vision de l’après-pandémie tienne en compte les énormes risques climatiques comme par exemple la perte de 28% de nos ressources hydriques à l’horizon de 2030, les migrations humaines et l’érosion effréné de notre littoral. Dans une récente de novembre 2019, on trouve que 70% des plages sableuses du Golf de Hammamet s’érodent d’une manière persistante et un retrait du trait de la côté qui peut atteindre 5.6 mètre par an. Un taux effrayant si on le compare avec le 0.07 mètre par an estimé par les modèles internationaux. Le même article cite que l’intrusion marine a fait grimpé la salinité dans les nappes phréatiques côtières à un taux compris entre 5 et 8g/l, provoquant une réduction d’environ 18% de la couverture végétale.
Si la réalité et les projections sont sombres, des jeunes avertis à l’image du mouvement Youth For Climate Tunisia sont mobilisés partout en Tunisie pour bousculer les décideurs et pur défendre leur avenir. Des jeunes experts sont parvenus à occuper des postes qui leur permettent de faire évoluer leurs connaissances et d’agir à travers des projets concrêts.
L’action est déjà déclenchée par les jeunes et devra être accélérée et reconnue par les décideurs locaux et nationaux.
Importance de l’éducation environnementale dans des situations pareilles :
Le civisme environnemental et l’éducation environnementale ont manqué durant le confinement et les multiples appels d’application des mesures de distanciation n’ont pas été respectés par les citoyens. Des images de foules, de longues queues infinies, de non-respect des consignes de prévention et de distanciation physique étaient diffusées en masse tous les jours sur les réseaux sociaux. Au vue de ces images et de ces comportements regrettables, il parait compliqué de d’engager notre société sur une voie de collectivisme et d’espérer un tournant dans notre regard envers l’espace public partagé et le respect d’autrui.
Le rôle de l’école dans l’éducation environnementale est censé se traduire aujourd’hui par la conscience citoyenne et la concrétisation des acquis environnementaux, humains, institutionnels ou autres au service de tous et de toutes. Plus que des cours dictés et des notes attribuées à la fin de chaque trimestre, nous avons besoin de valeurs responsables ancrées dans les esprits et la conscience de notre société. Avec l’épreuve du confinement et de déconfinement progressif, il parait clair que l’école a failli dans sa mission d’enraciner des valeurs de civisme et de respect d’autrui.
Le jet des bavettes et des gants dans la rue malgré leur potentiel danger de contamination et de mort témoigne de l’insouciance et de l’individualisme très répondus dans notre société. En attendant les analyses des sociologues sur le degré de respect des tunisiens des mesures de confinement et des règles de déconfinement, il est fondamental de penser à ce qui pourrait amorcer rapidement et radicalement le changement très profond de la culture citoyenne et de respect de l’environnement que l’on partage.
La réponse à la question de revenir ou nom à la normale est simple, comme l’a expliqué l’économiste engagé Maxime Combes, ‘’ne revenons pas à la normalité, car la normalité c’était le problème’’. Nous avons tous et toutes un attachement au monde de l’avant pandémie, mais certaines choses changeront pour toujours et d’autres nous attendent pour les transformer et provoquer leur changement. La clé de voute c’est le développement durable et la croissance sobre qui doivent rompre et se substituer au système qui a favorisé l’apparition du coronavirus et a accéléré sa propagation.
Certaines personnes diront que les changements radicaux préconisés sont irréalisables dans notre monde d’aujourd’hui, que dire alors du capitalisme qui s’est emparé de notre vie et l’a confisqué, alors que nous nous pensions être au contrôle de tout. Le capitalisme a structuré au fil des années notre existence, transformé nos réalités et a même dominé nos temps libres au point qu’ils sont devenus des divertissements capitalistes. Ce capitalisme qui nous a paupérisé l’humanité, fragilisé notre résilience et a fait de nous une simple valeur marchande productiviste.
Aujourd’hui, un plaidoyer vert s’impose en Tunisie pour empêcher un retour à la normalité et pour offrir un avenir juste, plus solidaire et équitable pour tous et toutes, notamment à l’égard des générations futures. Les enseignements des effets de la pandémie du covid-19 doivent conditionner l’action et nous guider vers un pacte citoyen et une réconciliation entre citoyens et envers notre environnement.
Les idées et les moyens de pression existent, alors pourquoi attendre d’autres chocs pour réagir et continuer à reporter l’action pour plus tard ?